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Je ne suis pas mort à 50 ans malgré la courbe et des alertes.
Mon grand-père et mon père sont décédés au village de mon enfance, sur la propriété agricole, le premier en 1958, à 56 ans.
Prisonnier en Allemagne, il était revenu très affaibli et ne s’en était jamais remis. Je ne l’ai donc jamais connu. Le second est mort en 1988, à 53 ans. J’avais 20 ans, lui à ses 20 ans, il avait été expédié en Algérie, car la France devait y rétablir l’ordre.
Quand il fut désigné dans la colonne centrale pour traverser un maquis, célibataire, il avait accepté d’échanger cette bonne place avec son meilleur ami, déjà père de deux enfants. Mais la colonne présumée la moins exposée fut exterminée, et les copains reçurent l’ordre d’aller récupérer les corps égorgés. Ce fut à ma connaissance son traumatisme le plus profond.
Naturellement, son temps effectué, le troufion fut réembarqué sur un bateau et à Marseille il indiqua, selon son livret militaire, regagner ses foyers. Naturellement, sans soutien psychologique, sa petite vie sombra.
56 ans, 53 ans, la destinée s’était-elle ainsi chargée de m’indiquer l’âge de sortie ?
J’ai refusé le service militaire. Ma famille avait suffisamment donné.
Naturellement, je ne me suis pas présenté à Cambrai, à la journée dite des « trois jours », avec cet argument. Ni en utilisant les bonnes relations d’un notable dont l’ami député pouvait, contre une enveloppe, me faire exempter.
Quitter ce village me sembla nécessaire. Mais sans garantie. On emporte son destin. Ni armée ni agriculteur.
Parmi les nombreuses raisons de ma vie littéraire, ce compte à rebours est resté non exprimé dans mes écrits publiés.
A 49 ans, mon docteur me conseilla d’effectuer un contrôle du PSA.
Antigène prostatique spécifique, dont la valeur de référence est inférieure à 4.
Mon 8 signifiait un risque élevé de cancer de la prostate. Mais à évolution lente.
3 mois d’attente pour une IRM. Le résultat fut formel : aucun cancer. Mais alors, pourquoi 8 ? Aucune réponse.
Un urologue m’apporterait cette réponse. Mais en cette fin d’année 2017, ma santé me semblait secondaire.
Début 2018, le jour de mes 50 ans, la Femme lumineuse de ma vie ne me reconnaissait plus, comme elle ne reconnaissait plus ni sa mère ni sa fille. Ses propos étaient cohérents mais dans une cohérence sans mémoire du vécu.
Quelques jours plus tard, après l’ouverture d’un quart de tour supplémentaire de la valve dans sa tête, elle retrouvait la mémoire pour rapidement perdre la parole et la capacité de se nourrir.
L’oncologue m’expliquait alors la méningite carcinomateuse, ces métastases passées par la colonne vertébrale pour atteindre son cerveau dans une pathologie sans espoir.
A 49 ans, j’avais présenté « la disparition de Stéphane Ternoise » et naturellement la vidéo ne fut pas comprise et le bouquin quasiment invendu. J’ajoute aujourd’hui quelques éléments.
Cette année-là, celle de mes 50 ans, 2018 donc, je passais également une semaine dans un autre hôpital, après les mois chambre 422 sur un lit d’appoint, une semaine comme "patient ". Un antibiotique visant une bactérie d’origine animale parvenait à inverser mon bilan sanguin où des lignes avaient atteint 300 fois les normes, même si aucune analyse ne permit, même à posteriori, de l’identifier. J’ai une petite idée iconoclaste sur cet incident médical mais il reste parfois préférable de ne pas trop développer certaines possibilités non validées par les sciences de son époque.
Depuis mon 50eme anniversaire, j’ai perdu mon Amour, ma mère, mon ami, celui assez lucide et intègre pour même comprendre les machinations du cercle des menteurs associés… Car il y eut des périodes où atteindre 50 ans m’apparaissait très compromis. J’ai parfois eu la naïveté de fréquenter des êtres néfastes. Ainsi un jour j’ai également lu que la consommation excessive de l'ibuprofène augmentait le risque d'arrêt cardiaque et compris l’urgence d’échapper à un engrenage. Je laisse quelques zones d’ombres.
J’ai 52 ans et je suis encore vivant. Chaque matin, je mesure cette chance de me réveiller avec une vie humaine. Il m’arrive de penser à Jean de la Bruyère, ce « philosophe qui ne songeait qu’à vivre tranquille, avec des amis et des livres », mort à 50 ans, mais en 1696, et à son maître, sa référence, Théophraste, qui se serait éteint à 107 ans, en regrettant de déjà partir alors qu’il commençait à être sage.
Je ne suis pas mort à 50 ans malgré la courbe, des alertes et des pièges.
J’ai 52 ans et je suis encore vivant. Nous sommes en janvier 2020.
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